Les photographies Unwrapping Rodin constituent une nouvelle étape de mon exploration continue de la sculpture d’Auguste Rodin, centrée surtout sur son œuvre phare Les Bourgeois de Calais (1895). Les autres œuvres que j’ai réalisées pour ce projet sont Age of Bronze (2004), Burghers of Seoul: Recast and Reshoot (2006), et Les Bourgeois de Calais: Crated and Displaced (2010).

« Depuis plus de cinq ans, je produis des œuvres d’art et des écrits en lien avec la sculpture de Rodin et sa relation à la photographie. L’art de Rodin me fascine pour plusieurs raisons, notamment pour la manière dont il réunit le romantique et le moderne/postmoderne, l’objet et la réplique, le mouvement et l’arrêt. Mondialement célèbre de son vivant (en partie un effet de la nouvelle presse internationale), il est passé de mode jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, lorsque des écrivains telle Rosalind Krauss ont renouvelé l’intérêt pour son travail.

Dans ma photographie et mes œuvres vidéo, je m’intéresse depuis longtemps à la dichotomie entre êtres humains et sculptures. Le corps humain et ses représentations étant de nouveau admises en art contemporain, je trouve fascinant d’observer le regard créatif, puissant et déterminant que posent entre eux et sur eux-mêmes spectateurs, modèles et œuvres d’art.

Commentant la sculpture dans son livre The Dream of the Moving Sculpture (bien que cette citation puisse être également pertinente dans le cas de la photographie), Kenneth Gross écrit : « nous reconnaissons en la statue une image du destin des corps, un destin élu, né de notre désir de nier notre personne physique vulnérable, pénétrable, périssable et mourante, afin de nous procurer un miroir de pierre idéalisé. » (Gross p.17). Gross détaille ensuite les différences entre les humains et les statues, de l’inhabileté des dernières à absorber de « la nourriture, des balles de fusil, de l’air, des sons ou des signes » à leur réticence de produire quoi que ce soit, qu’il s’agisse de « mots, de sang, d’excrément ou d’enfants » . Comment font alors ces masses inertes de bronze pour devenir si humaines ? Est-ce en rivalisant avec nous pour l’espace, à la différence des peintures qui acceptent de rester accrochées en périphérie dans l’attente de notre regard? Peut-être que la sculpture figurative, souvent creuse, couramment façonnée à partir de matériaux pouvant résister aux éléments, est le faire-valoir parfait de nos désirs; une coquille sous laquelle nous pouvons rendre réel en l’imaginant tout ce que nous désirons ou craignons.

En 2005, Phyllis Lambert est venue voir une de mes expositions, et nous avons amorcé une conversation. Elle m’a demandé quel était mon prochain projet, et lorsque j’ai répondu que j’allais à Séoul pour travailler sur une œuvre inspirée des Bourgeois de Calais, elle m’a invité à venir voir son Bourgeois, un nu grandeur nature du Bourgeois Pierre de Wissant (Rodin a d’abord réalisé des versions nues des six bourgeois avant de les draper pour le groupement final). Lorsque je suis allé découvrir cette sculpture, Phyllis a mentionné des photographies qu’elle voulait me montrer. Environ une semaine plus tard, j’ai reçu une suite de diapositives prises par Phyllis il y a quelque trente ans, tandis qu’elle déballait le bronze récemment livré. Ayant lu plusieurs livres au sujet de Muybridge  et de Marey dans le cadre de mes études doctorales, je n’ai pu m’empêcher de percevoir ces images comme des actions figées, comme représentant un mouvement imaginaire créé par le retrait progressif du matériel d’emballage, semblable à une chrysalide, utilisé pour transporter la sculpture.

De tout cela m’est venu l’idée de mettre en scène et de rephotographier cette séquence d’images. Mises en scène, elles perdent automatiquement la qualité personnelle et l’approche libre des originaux, s’apparentant plutôt au type de photographie documentaire que nous pouvons voir dans des textes d’histoire de l’art. Or, l’emballage de protection et le ruban adhésif, qui ne seraient jamais visibles dans un manuel, sont sur un pied d’égalité avec le bronze auquel ils sont encore attachés. Aussi, la séquence se déploie tel un mouvement, comme une sculpture repoussant son emballage et révélant sa surface de bronze impénétrable. La mise en scène de ces photos, l’embauche d’une restauratrice professionnelle pour réemballer la sculpture aux seules fins de pouvoir la déballer et la photographier, ont permis de produire une série d’images assez semblables à celles qui les ont inspirées, quoique réalisées pour différentes raisons et avec différents moyens. Cette transposition n’est pas sans liens avec ce qui m’intéressait lorsque je travaillais sur Cuba Still (Remake) en 2004-2005.

J’ai choisi d’imprimer ces photos en un format plus grand que toutes celles que j’ai imprimées auparavant, parce que je voulais qu’elles occupent l’espace à la manière dont le fait la sculpture, afin de brouiller la distinction entre l’objet et la photographie de l’objet. »
-Adad Hannah

[ 1 ] « Les statues se trouvent bien sans parties internes cachées; elles rendent obsolète la scandaleuse vie intérieure du corps humain – ses spasmes, ses désirs, ses réflexes, ses mouvements et ses bruits cachés… » (Gross p. 32). La photographie en fait autant. Mes vidéos le font aussi, cependant il y a un moment où elles se mettent à chuter/où elles tombent en panne, révélant les rouages scandaleux du corps humain.

[ 2 ] Il n’est pas sans intérêt de noter que Rodin, d’abord un critique de photographie, était un souscripteur de la série Animal Locomotion de Muybridge.

Adad Hannah est né à New York en 1971, a passé son enfance en Israël et en Angleterre, et a déménagé au Canada dans les années 1980. Il vit et travaille à Montréal et à Vancouver. Depuis plusieurs années, Adad Hannah travaille sur sa série Stills, constituée de vidéos muettes situées à la lisière entre la performance, la photographie et la vidéo. Inspirées de la pratique du xixe siècle du tableau vivant, les vidéos, les photographies et les installations de Hannah s’intéressent à notre comportement en tant que spectateurs, et à la qualité constructive de notre regard, tandis que nous tentons de nous comprendre nous-mêmes, ainsi que le monde qui nous entoure.

Adad Hannah a exposé ses œuvres un peu partout au monde, notamment à la Biennale de Prague (2011); au Aldrich Contemporary Art Museum, Connecticut (2010); au Samsung LEEUM Museum, Séoul (2011); au Musée d’art contemporain de Montréal (2010, 2008); au Zendai MoMA, Shanghai (2009); au Ke Center for Contemporary Art, Shanghai (2008); à la Vancouver Art Gallery (2007); au Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa (2011, 2006); à la Ikon Gallery, Birmingham (2006); à la 4e Biennale internationale d’art médiatique de Séoul (2006); à la Casa Encendida, Madrid (2006) et au festival Viper Bâle (2004). En 2004, il a remporté le prix Installation-nouveaux médias du festival Images de Toronto, ainsi que le prix Bogdanka Poznanovic du festival Videomedeja 8, à Novi Sad. Il a reçu l’appui du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des Arts et des Lettres du Québec, du B.C Arts Council, de la Vancouver Foundation/Contemporary Art Gallery, ainsi que des délégations du Québec et des ambassades du Canada à Madrid, à Séoul, et à New York. Il a réalisé des œuvres pour divers musées, dont le Musée des beaux-arts de Montréal; le Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa; la Vancouver Art Gallery; la Rodin Gallery, Séoul, et le musée du Prado, Madrid.

Les œuvres de Hannah font partie de plusieurs collections publiques et privées, dont celles de Sir Elton John, du Musée des beaux-arts du Canada, du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée des beaux-arts de Montréal, du Ke Center for Contemporary Art (Shanghai) et de la Zacheta National Gallery of Art (Varsovie).

PHOTOGRAPHIES

   
Unwrapping Rodin (Blue) 1                Unwrapping Rodin (Blue) 2
2010                                                     2010
épreuve chromogène                          épreuve chromogène
175,25 x 127 cm (69″ x 50″)               175,25 x 127 cm (69″ x 50″)
édition de 2                                          édition de 2

   
Unwrapping Rodin (Blue) 3                 Unwrapping Rodin (Blue) 4
2010                                                      2010
épreuve chromogène                           épreuve chromogène
175,25 x 127 cm (69″ x 50″)                175,25 x 127 cm (69″ x 50″)
édition de 2                                           édition de 2

   
Unwrapping Rodin (Blue) 5                Unwrapping Rodin (Blue) 6
2010                                                     2010
épreuve chromogène                          épreuve chromogène
175,25 x 127 cm (69″ x 50″)               175,25 x 127 cm (69″ x 50″)
édition de 2                                          édition de 2

   
Unwrapping Rodin (Blue) 7               Unwrapping Rodin (Blue) 8
2010                                                    2010
épreuve chromogène                         épreuve chromogène
175,25 x 127 cm (69″ x 50″)              175,25 x 127 cm (69″ x 50″)
édition de 2                                         édition de 2


Unwrapping Rodin (Blue) 1
2010
épreuve chromogène
175,25 x 127 cm (69″ x 50″)
édition de 2

 

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